Les Noces… comme vous ne les avez jamais entendues

Dans son nouveau disque à paraître le 20 janvier 2023 sous le label Aparté, l’ensemble Aedes et les instrumentistes des Siècles, dirigés par Mathieu Romano, présentent deux œuvres majeures en premier enregistrement mondial : Les Noces de Stravinsky dans leur version inédite de 1919 pour quatre solistes, chœur de chambre, cinq instrumentistes (percussions, cymbalums, harmonium) et un pianola, ainsi que Bolero de Ravel, spécialement arrangé pour cet instrumentarium par le compositeur Robin Melchior.

Cet enregistrement s’inscrit dans la continuité du spectacle Nijinska I Voilà la femme, créé au Théâtre National de Chaillot en 2021, avec la compagnie Les Porteurs d’Ombre de la chorégraphe Dominique Brun.

Entretien avec Mathieu Romano

La version des Noces de Stravinsky présentée dans ce disque n’avait jamais été enregistrée en intégralité. En quoi est-elle spécifique au regard des autres versions plus connues de l’œuvre ?

Il existe trois versions des Noces, dont celle-ci datant de 1919. Cette dernière est moins connue car Stravinsky n’avait orchestré que deux des quatre tableaux, avant de l’abandonner en raison notamment des contraintes techniques qui rendaient sa mise en œuvre trop complexe à l’époque. Il a fallu attendre 2007 pour que le compositeur Theo Verbey réorchestre les deux derniers tableaux, sous la direction artistique de Peppie Wiersma. C’est cette version, la seule approuvée par les ayants droit de Stravinsky, que nous avons utilisée. Bien qu’il n’ait jamais pu la monter, on sait que Stravinski l’appréciait tout particulièrement.

Pourquoi était-elle chère au compositeur ?

Son intérêt pour cette version tenait sans doute à l’instrumentation hétéroclite, à la fois riche et originale, qui permet d’illustrer parfaitement ces scènes de noces villageoises : les deux cymbalums, un large spectre de percussions et le fameux pianola favorisent les attaques rythmiques et la frénésie dansante, l’harmonium apporte une résonance qui vient à la fois de l’église et de la rue. Je trouve, pour ma part, que cette version est très équilibrée : destinée à peu d’instrumentistes, elle permet l’utilisation d’un ensemble vocal réduit. Ainsi, chœur et solistes font de la musique de chambre ; les instrumentistes peuvent jouer sans couvrir le chant.

 



Quelle est la place du pianola dans la partition ? L’intégration d’un piano mécanique a-t-elle rendu l’interprétation plus complexe ?

Pour cet enregistrement, nous avons utilisé un pianola moderne, contrôlé par ordinateur, en nous appuyant sur le savoir-faire de René Bosc, grand spécialiste de ce type d’instruments et de Stravinski, qui a programmé l’intégralité de la partie de pianola. Nous avons ensuite passé de longues heures à adapter la programmation initiale à mes choix artistiques. Cela a nécessité que soit décidée bien en amont la façon dont chaque note du pianola serait jouée et avec quelle nuance, en fonction de la représentation que je me faisais des sonorités de l’ensemble…

© Morgane Vie

Cette partition a été un grand défi à relever car, une fois programmé, le pianola impose sa volonté au chef, qui doit composer également avec un ensemble humain. Cela crée une tension permanente entre stabilité rythmique et musicalité. Rien de paradoxal mais, avec un instrument mécanique, on se rend compte que les musiciens ne jouent jamais complètement « a tempo » !

Aedes est connu pour porter une attention soutenue au texte chanté. Comment avez-vous procédé avec celui des Noces ?

Avec les chanteurs et chanteuses, nous avons mené un travail approfondi sur la compréhension et le rythme du texte, la sonorité, la signification et la respiration propre à la langue russe. Nous avons été aidés par Marianne Sytchkov, qui nous a transmis de précieuses connaissances sur les rites et l’histoire de ce pays. Cela a été essentiel afin de pouvoir restituer l’œuvre dans toute sa densité et son incroyable modernité. Je suis fier du parcours accompli car c’est une œuvre redoutable, en particulier pour les solistes qui chantent régulièrement à l’unisson avec le chœur ; il leur faut donc savoir sortir et se fondre dans l’ensemble vocal de façon très virtuose. 

C’est un immense plaisir en même temps qu’un réel défi de rendre l’œuvre disponible dans cette version inédite. En préambule, j’ai souhaité intégrer une chanson populaire russe du XIXe siècle, que Stravinsky avait entendue de la bouche d’un ami et qui lui fit une si forte impression qu’il la reprendra tout au long de l’œuvre. Elle est présentée ici dans une version très simple, et est une sorte d’appel à ce qui va suivre…

 

Prochaine date
le 9 juin 2023, au Musikverein de Vienne

 

1 Comment
  • Claude Bagary
    Posted at 13:10h, 13 janvier

    Cette présentation donne très envie .
    Dans ces cas là on espère ne pas être déçu. Mais franchement ça m’étonnerait.

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