01 Août Stabat Mater de Poulenc : « je cache cette œuvre à tout le monde »
« Je cache cette œuvre à tout le monde pour voir leurs trombines quand ils entendront ces quarante-cinq minutes de chœur et de grand orchestre que Bernac considère comme ma meilleure œuvre. » Francis Poulenc, à Darius Milhaud
Œuvre tardive de Francis Poulenc, écrite en la mémoire de son ami l’artiste Christian Bérard, le Stabat Mater est considéré comme un monument de la musique sacrée, qui témoigne de l’inspiration singulière du compositeur, marquée par une spiritualité originale, à la fois profonde et légère. Du style ambigü, complexe et riche de Poulenc, Claude Rostand dira qu’il tient à la fois « du moine et du voyou ».
L’ensemble Aedes revient à l’un de ses compositeurs fétiches, avec son partenaire de jeu régulier Les Siècles, sous la direction de Mathieu Romano. Le Stabat Mater sera donné à cinq reprises :
- 25 août au Festival de La Chaise-Dieu
- 27 août aux Rencontres Musicales de Vézelay
- 22 septembre en l’église Saint-Christophe de Tourcoing
- 23 septembre au Festival de Laon
- 20 octobre au Théâtre Impérial de Compiègne
Entretien avec Mathieu Romano
Comment pourriez-vous caractériser la musique vocale de Poulenc ?
La musique de Poulenc paraît « simple » parce que c’est une musique essentiellement homophonique — même si, bien sûr, elle n’exclut pas le contrepoint. Il y a dans sa musique une clarté, une limpidité, un rapport direct au texte, aux mots et aux images qu’ils suggèrent, qui fait écho au travail que je mène avec Aedes sur la recherche d’un son « pur ». Mais dans sa simplicité, c’est une musique extrêmement difficile à réaliser car elle doit être délivrée sans que l’on puisse distinguer aucun ressort du travail nécessaire à son exécution. Il doit y avoir une parfaite transparence dans l’interprétation, à l’image de son écriture.
Quand et comment l’avez-vous découverte ? Avec quelle œuvre ?
J’ai connu la musique de Poulenc en tant que qu’instrumentiste au départ. Mais disons que ses partitions vocales font intimement partie de l’histoire d’Aedes ; la première œuvre que nous avons travaillé en 2005 était Un soir de neige ; depuis, Poulenc est devenu l’un de nos compositeurs « fétiches » en quelque sorte. Notre dernier disque paru sous le label Aparte en 2019 fait apparaître Figure Humaine de Poulenc, que nous avions déjà interprété en 2017 avec le Latvian Radio Choir.
Quelle différence d’approche faites-vous entre ses pages profanes et ses pièces sacrées ? Voyez-vous des points communs entre elles ?
Je n’en fais pas vraiment. Bien sûr quand Poulenc écrit de la musique religieuse, il est inspiré par une foi authentique. Surtout dans le Stabat Mater qu’il a composé à la suite d’une révélation en 1936 à Rocamadour et qui est, de ce fait, empreint d’une grande ferveur. Il s’agit d’une œuvre qui marque le retour de la foi chez le compositeur, une foi vibrante, et cela peut guider l’interprétation.
Néanmoins, ce qui anime Poulenc de mon point de vue, plus que le sentiment religieux, c’est une profonde humanité et une foi sincère en ce qu’il fait. Il possède une compréhension intuitive de la spiritualité sous-jacente aux textes qu’il met en musique, qu’ils soient religieux ou non. Il est léger ou grave selon ce que lui inspire le texte mais il ne s’embarrasse jamais de carcans. C’est pourquoi, j’aurais tendance à appréhender de la même manière une messe et un poème d’Eluard. Poulenc compose d’abord au service du texte, de sa compréhension et de l’émotion qu’il suscite.
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Le Stabat Mater vous semble-t-il représentatif du style hétéroclite de Poulenc ? Vous sentez-vous proche de ce mélange de gravité et de légèreté inhérent à l’ensemble de son œuvre ?
Il y a dans le Stabat Mater, comme dans toute l’œuvre de Poulenc, des moments très intenses, graves et légers… Son écriture est remplie d’effets miroitants, un peu comme un kaléidoscope, avec des changements de notes au sein d’un même accord qui rendent la musique très mouvante. Chaque mouvement est très varié ; en cela, le Stabat Mater est représentatif de son style. On peut même reconnaître à l’intérieur de l’œuvre des « similitudes » avec d’autres pages de Poulenc.
Que peut selon vous nous apporter la spiritualité si originale de Poulenc en ces temps troublés ? Peut-elle encore nous parler ?
Poulenc disait lui-même : « j’écris ce qui me chante ». Il y a un côté on pourrait dire… « enfantin » — sans être naïf — dans son mode d’expression très libre et direct. C’est d’ailleurs sans doute pour cela que Poulenc est un peu déconsidéré… à tort !
La spiritualité parcourt toute son œuvre, mais c’est une spiritualité ancrée dans la matière, vivante et même sensuelle. On retrouve bien sûr cette idée d’élévation, caractérisée par des passages très éthérés dans sa musique, mais il s’agit chez lui d’un mysticisme très particulier qui n’est jamais déconnecté du corps et qui n’est surtout pas dogmatique. En cela, oui, son approche a beaucoup à nous apporter.
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